Une des accusations les plus récurrentes portées par les islamophobes à l’encontre du Coran est celle de l’incitation à l’égorgement, surtout lorsqu’il s’agirait d’égorger des juifs [1]. On se souvient tous de la calomnie absurde du raciste antimusulman Éric Zemmour qui s’exclama : « Ouvrez le Coran à n’importe quelle page, il y a écrit qu’il faut tuer les juifs et les chrétiens. »
Michel Onfray, bien conscient que ce type de remarques débiles font le buzz, suit les traces du gourou de l’islamophobie française en s’exclamant : « Il y a dans le Coran matière à justifier le terrorisme et les égorgements ». En effet, le philosophe y aurait décelé « une sourate qui vous explique qu’il faut égorger des juifs. » Il s’agirait d’ailleurs de textes clairs et non équivoques qui ne peuvent être interprétés d’une autre façon. Lorsqu’un des animateurs de l’émission aborde le sujet de l’interprétation, Onfray rétorque sèchement :
« Quand (dans le Coran) on vous explique que quand on voit un juif, il faut l’égorger, comment voulez-vous expliquer ça ? »
Comprenons bien ce que Michel Onfray est en train de nous dire. Lorsqu’un musulman de France se promène dans la rue et qu’il aperçoit un juif, il est ordonné de le pourchasser pour l’égorger sur place sans hésitation, là où il le trouve ! Il s’agirait d’un commandement divin écrit noir sur blanc dans le Coran.
Michel Onfray suit les traces du raciste antimusulman Éric Zemmour qui prétend qu’il n’y a pas une seule page dans le Coran qui n’incite pas à tuer les juifs et les chrétiens.
Or, cette thèse « séduisante » impliquerait que le Prophète (‘aleyhi assalam) lui-même ne respectait pas les commandements du Coran. En effet, les Hadiths mentionnent clairement que le Messager rendait visite aux juifs, qu’il allait manger chez eux et qu’il commerçait avec eux. Dans le recueil d’al-Bukhari, par exemple, on lit que le Prophète (‘aleyhi assalam) rendait visite à un garçon juif qui fut malade [2]. Aurait-il oublié de l’égorger en sortant… ?
Il nous fallait donc absolument trouver cette fameuse sourate qui prescrit aux musulmans d’égorger les juifs. Nous avons contacté Onfray pour lui demander une référence de ce mystérieux passage dans le Coran que nous n’avions encore jamais lu. Après avoir réitéré notre demande à plusieurs reprises, Son Éminence s’est malheureusement abstenue de nous répondre. Il semble que Michel manque de courage hors antenne, loin d’être le lion féroce qui, lors des interviews, casse du musulman. Ou refuserait-il tout simplement de partager ses connaissances de la religion musulmane avec nous, pauvres bêtes Sarrasins que nous sommes !? Il faut le comprendre, un grand intellectuel de son calibre n’a pas le temps de se rabaisser au niveau d’« intégristes » qui osent mettre en doute ses recherches méticuleuses.
Mais rien de vraiment grave, une analyse critique sur le thème de l’égorgement dans le Coran permettra aisément de vérifier la véracité des allégations portées par notre grand penseur des Lumières.
Le verbe « égorger » (dhabaha) et le terme « égorgement » (dhabh) apparaissent précisément sept fois dans le Coran. D’abord dans l’histoire de Salomon [3] qui passe en revue les oiseaux et menace d’égorger la huppe qu’il croit être parmi les absents :
« Je la châtierai sévèrement, ou je l’égorgerai, ou bien elle m’apportera un argument explicite » [4]. [27/21]
L’égorgement est aussi évoqué dans deux autres passages du Coran qui adressent l’immolation de bêtes. Tout d’abord dans la sourate ‘La Table Servie’ :
« Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de porc… la bête assommée ou morte d’une chute ou morte d’un coup de corne, et celle qu’une bête féroce a dévorée — sauf celle que vous égorgez avant qu’elle ne soit morte. » [5/3]
Puis, dans l’histoire de Moïse qui dit à son peuple « Certes Allah vous ordonne d’immoler (c.-à-d. en l’égorgeant) une vache. » [2/67]
C’est aussi le seul passage dans le Coran qui évoque un ordre d’égorger. À moins que Michel Onfray considère que les juifs soient des vaches, il est impossible de saisir où le Coran ordonne aux musulmans d’égorger des juifs.
Ce qui apparait réellement dans le Coran est plutôt le contraire. À trois reprises, des versets condamnent le fait d’égorger des êtres humains. Toujours dans la sourate ‘La Vache’, Allah rappelle comment Il a sauvé le peuple de Moise des crimes immondes de Pharaon qui égorgeait tout garçon parmi les nouveau-nés :
« Et [rappelez-vous], lorsque Nous vous avons délivrés des gens de Pharaon, qui vous infligeaient le pire châtiment : en égorgeant [5] vos fils et épargnant vos femmes. » [2/49]
Le sens contenu dans ce verset est répété dans la sourate ‘Abraham’ (« Rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous quand Il vous sauva des gens de Pharaon qui vous infligeaient le pire châtiment. Ils égorgeaient vos fils et laissaient en vie vos filles. » [14/6]) ainsi que dans la sourate ‘Le Récit’ (« Pharaon était hautain sur terre ; il répartit en clans ses habitants, afin d’abuser de la faiblesse de l’un d’eux : Il égorgeait leurs fils et laissait vivantes leurs femmes. » [28/4])
Il y a un seul passage dans le Coran qui évoque un ordre d’égorgement. Or, il s’agit d’immolation de bêtes pour obtenir une viande Halal et non pas de juifs, comme le prétendit Michel Onfray.
Le dernier passage dans lequel mention est faite de l’égorgement est dans la sourate ‘Les Rangées’ qui relate l’histoire d’Abraham lorsqu’il se vit en rêve égorger son fils Ismaël :
« Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner [Abraham] dit : “Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Vois donc ce que tu en penses” » [37/102]
Voici tous les versets coraniques qui mentionnent l’égorgement. Il n’y a pas de commandement divin qui ordonne d’égorger des juifs. Il s’agit tout simplement d’une prescription coranique qui impose d’immoler des bêtes. Quant à l’égorgement de personnes vivantes, le Coran le considère comme un acte blâmable qui fut perpétré par un des plus grands criminels de l’histoire humaine : Pharaon.
Au-delà de ces sept passages, le terme « égorger » n’apparait pas dans le Coran. De même, il n’y a pas un seul Hadith qui ordonne d’égorger des êtres humains, que ce soit en contexte de guerre ou non. Ni le Prophète (‘aleyhi assalam), ni ses compagnons [6] n’ont égorgé un seul de leurs ennemis, qu’ils soient combattants ou non. L’égorgement d’hommes ou de femmes, de juifs ou de goys, ne peut donc être considéré comme une pratique islamique.
Les savants ont d’ailleurs jugé qu’il est illicite (harâm) d’égorger le condamné à la peine de mort comme on égorge un mouton. Il s’agit d’un acte qui est réprouvé et qui contredit la bienfaisance qui est prescrite dans le Hadith qui dit :
« Allah a prescrit la bienfaisance en toutes choses. Quand vous tuez, tuez avec bienfaisance et quand vous égorgez, égorgez avec bienfaisance. Que l’un de vous affûte sa lame et apaise la bête qu’il immole. » [7]
La législation islamique différencie donc entre le fait d'appliquer la peine de mort et d’immoler une bête. En Islam, la mise à mort d’une personne condamnée à la peine capitale se fait d’une façon bien précise qui permet de prendre aisément son âme. À l’inverse, les animaux ont une façon spécifique d’être abattus : l’égorgement. C’est ce qu’explique Sheikh al-Islâm Ibn Taymiya dans son commentaire de cette parole prophétique :
« Ce Hadith indique que la bienfaisance est obligatoire dans toutes les situations, même dans les cas où l’on prend l’âme, que ce soit d’un être humain ou d’une bête. Ainsi, il a été ordonné de parfaire l’exécution pour les hommes et l’égorgement pour les bêtes. » [8]
On déduit également du Hadith qu’il est interdit de mutiler, de torturer ou de faire souffrir l’inculpé. Il ne fait pas de doute que l’égorgement d’un être humain engendre une forme de souffrance qui, par conséquent, rend interdit cet acte.
Michel Onfray a inventé un verset non existant (« Tout juif qui vous tombe sous la main tuez-le ! ») dont il se sert lors des interviews pour affirmer que le Coran incite à égorger les juifs.
En Islam, la mise à exécution du prisonnier qui encourt la peine de mort se fait avec bienfaisance, c.-à-d. de la manière la plus rapide, la plus facile et la moins douloureuse [9]. Ainsi, l’exécution se fait d’une seule frappe sur la nuque, entre le haut du dos et la tête. Le coupable n’endure aucune souffrance et rend l’âme en moins d’une seconde [10].
Mais comment Onfray fait-il alors pour insister, émission après émission, que le Coran incite à égorger les juifs ? Très simple, il cite le verset « Tout juif qui vous tombe sous la main tuez-le ! ». Il ne mentionne bien entendu jamais la sourate dans laquelle se trouve ce verset pour une raison tout à fait compréhensible : le ‘verset’ en question n’existe pas dans le Coran. Il s’agit d’une pure invention de Michel qui prétextera sûrement une révélation personnelle en 2015. « Et quel pire injuste que celui qui fabrique un mensonge contre Allah ou qui dit : ‘Révélation m’a été faite’, quand rien ne lui a été révélé. » [6/93]
Avouons-le, Michel est très fort ! Il colporte d’abord des mensonges éhontés qu’il tente ensuite d’affirmer en forgeant lui-même un verset coranique qui n’est nullement présent dans le Coran. Le but est simple : faire passer les musulmans qui suivent les commandements de leur livre sacré pour des barbares sanguinaires qui ne pensent qu’à égorger ‘du juif’. Le tout devant des millions de téléspectateurs qui prennent au sérieux les propos de cet imposteur. « Qui est donc plus injuste que celui qui invente un mensonge contre Allah pour égarer les gens sans se baser sur le moindre savoir ? » [6/144]
La deuxième étape dans la stratégie sournoise d’Onfray consiste à inculquer à son audience que « les versets qui incitent à égorger les juifs » sont explicites et ne sont pas soumis à une interprétation quelconque :
« Quand on vous dit qu’on égorge les infidèles, comment voulez-vous interpréter ‘égorger les infidèles’ ?... Quand on vous explique quand on voit un juif, il faut l’égorger, comment voulez-vous expliquer ça ? »
Récapitulons la manœuvre audacieuse de ce manipulateur cynique. Dans un premier temps, il déclare que des sourates ordonnent aux musulmans d’égorger tous ceux qui ne croient pas au Coran. Ensuite, il corrobore sa thèse trompeuse avec un verset inventé qui n’existe pas. Pour conclure, il dit qu’on ne peut donner d’autre interprétation à ce verset — inexistant, rappelons-le — du fait qu’il est non équivoque. Conclusion : les musulmans qui lisent en comprenant « les versets sur l’égorgement des juifs » de façon littérale finiront — le sabre brandi — par traquer les juifs dans les banlieues parisiennes pour les égorger comme des pauvres agneaux...
Extrait de “L’Islam, Le Coran et Michel Onfray”, à télécharger ici
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[1] C’est aussi le cas aux USA. Dans sa dernière campagne, l’organisation américaine islamophobe « AFDI » a placardé des affiches qui mentionnent que « tuer les juifs est un rite qui rapproche les musulmans d’Allah. »
[2] Sahîh al-Bukhari (1356)
[3] Dans la Sourate ‘Les Fourmis’
[4] Étant impossible de traduire le Coran, tous les versets traduits doivent être considérés comme une traduction de leur sens.
[5] Certains savants affirment que le terme « égorger » dans ce verset constitue une métonymie qui fait allusion au meurtre et qui ne doit donc pas être pris au sens littéral.
[6] Le Hadith avec l’histoire d’Ibn Mas’ûd à ce sujet est faible.
[7] Sahîh Muslim (5055)
[8] Ibn Taymiya, « al-Fatâwa al-Koubra », Vol. 5, p. 549
[9] Ibn Qayyim dit : « (L’exécution par) une frappe d’épée sur la nuque est la meilleure façon de tuer et la plus rapide avec laquelle (le coupable) peut rendre l’âme ». (Ibn Qayyim, « al-Salât wa Ahkâm Târikihâ »)
[10] Voir, entres autres, Ibn Taymiya « al-Siyâsa al-Shar’iyyah », p. 105 et « Majm’u al-Fatâwa », Vol. 6, p.383