Plusieurs siècles de colonisation ont fait que la majeure partie des pays islamiques sont devenus structurellement dépendants de l’Occident et que les citoyens y ont perdu leur identité. C’est encore plus le cas pour ceux qui ont quitté leur patrie pour vivre en Occident. En Europe, le modèle type du « musulman intégré » est incarné par l’Arabe laïcisé, bien rasé et habillé en costume cravate qui, par son « déguisement social », espère être approuvé publiquement par son Sayyid [1] français. À l’opposé, il y a les musulmans qui essayent de s’accrocher à leur religion qui vivent dans des tours HLM, l’équivalent des cabanes dans lesquelles vivaient leurs frères Nègres des champs [2]. Ils n’essaient pas d’avoir l’air français, ils ne s’habillent pas à la française et n’accordent que peu d’importance à ce que la France attend d’eux. Ils réalisent bien qu’être né en France ne signifie pas que vous êtes Français. Ce n’est pas le passeport couleur bordeaux qui vous rend Français, ce qui vous rend Français c’est votre état d’esprit et votre allégeance à la nation française. Pour être considéré comme citoyen intégral, le musulman doit s’identifier aux dirigeants, écrivains et philosophes de France plus qu’il ne s’identifie à ses frères et sœurs en Islam. Un peu comme les anciens Nègres de maison qui s’identifiaient à leur maitre et aimaient vivre dans sa demeure, éloignés des cabanes des Nègres des champs:
« Le Nègre de maison s’identifiait à son maître plus que son maître s’identifiait à lui-même… Lorsque le maître disait au Nègre de maison: “Nous avons une bonne maison ici”, celui-ci répondait: “Oui maître, nous avons une bonne maison ici.” Chaque fois que le maître disait “nous”, le Nègre de maison répondait “nous”. Voilà comment vous pouvez reconnaitre un Nègre de maison. » [3]
Le « Nègre de maison » vivait dans la maison de son maître qu’il aimait plus que son maître ne s’aimait lui-même. Il menait une vie aisée et devait contrôler les « Nègres des champs ».
Tout comme les maitres esclavagistes, les politiques français refusent l’accès à leur « Maison Républicaine » aux musulmans qui ne prêtent pas allégeance à l’État et ses valeurs. Les musulmans orthodoxes refusent de jouer le rôle du béni-oui-oui. À l’instar de leurs anciens frères sur les champs de coton américains, ils ne prêtent aucune allégeance à une autorité qui les méprise et les opprime:
« Quand les Nègres des champs voient la maison de cet homme en feu, vous n'entendez pas ces petits nègres parler de “notre gouvernement est en difficulté.” Ils disent: “Le gouvernement est en difficulté.” Imaginez-vous un nègre dire: “Notre gouvernement !” J'ai même entendu un d’entre eux dire “nos astronautes.” Ils ne te laisseront même pas t'approcher de l'usine, et tu parles de ‘nos astronautes!’ » [4]
Les musulmans orthodoxes arborent souvent une barbe fournie et s’habillent élégamment en tenues islamiques. Ils retrouvent un honneur dans les pratiques religieuses tandis que leurs frères acculturés ont honte des coutumes islamiques qui ne correspondent pas aux valeurs occidentales. De façon inconsciente, ces derniers ont hérité et internalisé un sentiment d’infériorité créé durant l’ère coloniale qui s’est transmis d’une génération à une autre.
Les esclaves africains furent sélectionnés selon leur force physique, puis kidnappés et embarqués sur des bateaux d’esclaves qui les emmenaient vers une « terre promise ».
Ethnologiquement, l’Afro-Américain et l’Arabo-Européen ont beaucoup en commun. Même si les immigrés arabes quittèrent leurs pays de plein gré, ils furent acceptés sur le continent européen en fonction de la rugosité de leurs paumes et la callosité de leurs doigts[5]. Les premiers esclaves noirs furent sélectionnés selon leur force physique, kidnappés du continent africain et puis embarqués sur des bateaux d’esclaves. La colonisation française fut loin d’être aussi brutale et destructrice que l’esclavage américain, mais une comparaison peut toutefois être établie du fait que les esclaves africains et les immigrés arabes furent tous conduits vers des terres promises pour construire un pays prospère et y stimuler l’économie locale.
Après la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux musulmans arabes, berbères et africains furent « importés » dans des pays d’accueils européens pour effectuer le « sale boulot » que les Européens eux-mêmes ne voulaient pas faire, résolvant ainsi le problème d’une pénurie ouvrière. Les mines de charbon et les usines de production automobile ont remplacé les plantations et les champs de coton, Kunta Kinte se fait maintenant surnommer « Monsieur Momo » et les chaînes rouillées des anciens esclaves sont devenues des carcans psychologiques dont les Arabes européens ne peuvent se débarrasser. En Amérique, ce fut une question de couleur et de race ; en France le problème est culturel et socioreligieux. Les Français convertis qui s’habillent selon les préceptes de l’Islam sont autant discriminés que leurs frères Arabes. D’autre part, un Arabe rasé de près en jean moulant aura plus de chances de décrocher un emploi que son frère Jacques qui, après avoir embrassé l’Islam, porte une barbe touffue et une chéchia.
Extrait de “Malcolm X, Discours aux Cités de la République”, à télécharger ici
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[1] Signifie maître en arabe.
[2] Environ 20% des esclaves africains qui furent emmenés en Amérique furent musulmans. Le plus connu parmi eux fut le savant sénégalais Omar Ibn Said (1770-1864), kidnappé en 1807 par l’homme blanc. Il maitrisait l’arabe et les sciences islamiques et fut connu pour sa pratique assidue de l’Islam. Il écrit 14 manuscrits en arabe, dont une autobiographie qui est la seule autobiographie à être écrite en arabe par un esclave américain.
[3] Malcolm X, « Message to the Grassroots ».
[4] Ibid
[5] De cette façon, l’homme blanc pouvait savoir si la personne était habituée au travail laborieux. Les hommes aux paumes douces furent rejetés.