Le 9 novembre 2005, exactement quarante-deux ans après le discours du « Message au Peuple » de Malcolm X, la France subit les émeutes les plus violentes de son histoire contemporaine. La violence jaillit à travers le pays et les banlieues furent mises à feu. Mais l’aspect le plus inquiétant de ce tumulte populaire fut de constater que cette jeunesse qui s’insurgea en déclenchant une révolution urbaine ne possédait même pas de figure comme Malcolm X pour les inciter à « faire valoir leurs droits par tous les moyens nécessaires ».
Plutôt, ce fut une réaction spontanée des jeunes qui en avaient assez des abus d’une police et d’une DST qui, en plus d’être amplement infectées par le racisme, jouissent d’une impunité scandaleuse. Mais ce jour-là était le jour des représailles ; une vengeance aveugle éclata qui allait assouvir la colère des jeunes de cités et laisser les Français abasourdis. Est-ce que les associations musulmanes contrôlées par l’État perdirent tout contrôle sur les « quartiers » ou est-ce que celles-ci venaient de se rendre compte qu’elles n’avaient jamais eu d’influence sur les jeunes banlieusards ? Une chose était sûre, la stratégie de Sarkozy en faisant des associations musulmanes des remparts pour pacifier les quartiers avait misérablement échoué. En quelques semaines, le modèle d’intégration français fut incendié avec plus de 6000 voitures.
Une situation similaire se produisit aux USA durant l’époque de Malcolm X qui décrivait comment les leaders afro-américains des droits civiques perdirent tout contrôle sur leur communauté une fois les émeutes déchainées. X, qui adoptera plus tard le nom de Malik al-Shabâz, considérait des militants comme Martin Luther King, Roy Wilkins [1], Philip Randolph [2] et James Farmer [3] comme des Nègres de Maison pacifiques. Le fossé abyssal entre les associations de droits civiques comme la NAACP ou CORE [4] et la communauté afro-américaine devint parfaitement limpide lors des manifestations qui éclatèrent à Birmingham [5] au Printemps 1963. En comparant la révolution noire au XXe siècle à la révolution nègre du XVIIIe siècle, Malcolm X décrit comment le maitre blanc perdait tout contrôle sur les foules noires populaires :
« Sur la même plantation, il y avait le Nègre des champs. Les Nègres des champs étaient la majorité. Il y avait toujours plus de Nègres dans les champs qu’il y en avait dans les maisons... Aussitôt que Martin Luther King échoua à Birmingham, les Nègres sont descendus dans les rues. Wilkins commençait à attaquer King et King attaquait Roy alors que Farmer attaqua les deux. Et pendant que ces Nègres d'envergure nationale s’attaquaient les uns les autres, ils perdaient le contrôle des foules de Nègres. Il s’agissait des masses populaires noires qui avaient pris la rue. Ils avaient effrayé à mort l'homme blanc, ils avaient effrayé à mort le système de pouvoir blanc à Washington DC ; j’y étais. » [6]
Les « Nègres de Maison » Philip Randolph, James Farmer et Roy Wilkins furent de prétendus militants d’associations de droits civiques que le gouvernement américain exploita pour contrôler la communauté afro-américaine.
Ce fut seulement après l’éruption d’hostilités farouches que les « maitres » à l’Élysée réalisèrent qu’ils avaient largement sous-estimé la rancune grandissante de leurs « beurs des champs » à laquelle ils réagirent uniquement avec incompréhension et répression. Ayant amassé la force ouvrière dans des quartiers qui firent office d’entrepôts de stockage d’enfants d’immigrés, ils réalisèrent que depuis plusieurs décennies déjà, ils dormaient avec un ennemi intérieur qu’ils avaient fabriqué de leurs propres mains. Ce développement imprévu d’une ségrégation sociale très distincte signifiait la faillite de la politique d’intégration. D’innombrables articles furent rédigés dans la presse française cherchant à comprendre pourquoi une Intifada multiculturelle venait d’éclater dans leur arrière-cour. Ceci dit, aucun journal n’a pu fournir d’explication crédible pour les émeutes. Ou peut-être n’avaient-ils simplement pas le courage de se confronter à une réalité que les Français refusaient toujours de reconnaitre ; celle que la France est devenue le pays le plus islamophobe du continent Européen.
Lorsqu’il y a quarante-cinq ans, l’agitation politique secoua l’Amérique, John F. Kennedy rassembla les leaders noirs des organisations de droits civiques en espérant pouvoir mettre fin aux violentes émeutes en réaction à la ségrégation raciale. Malcolm X analysait la façon dont le gouvernement américain se mobilisait pour joindre et infiltrer un mouvement qu’il ne pouvait combattre:
« Quand ils ont découvert que ce rouleau compresseur noir allait s’abattre sur la capitale, ils ont appelé Wilkins, ils ont appelé Randolph, ils ont appelé ces Nègres de dirigeants nationaux que vous respectez et ils leur ont dit : “Arrêtez tout ça !” Kennedy a dit : “Écoutez, vous avez laissé cette chose aller trop loin.” Et le vieux Tom répondait : “Maître, je ne peux pas l’arrêter, car je ne l’ai pas commencé.” Je vous dis ce qu’ils ont dit. Ils ont dit : “Je n’en fais même pas partie, et j’en suis encore moins à la tête !” Ils ont dit : “Ces Nègres font leur propre truc, ils ont pris de l’avance sur nous.” Et ce vieux renard rusé leur a alors rétorqué: “Eh bien, si aucun de vous n’est impliqué dedans, je vais vous mettre dedans. Je vais vous mettre à la tête de cette marche. Je vais l’approuver. Je vais la soutenir. Je vais la joindre.” » [7]
Peu de temps avant l’éruption des émeutes dans les cités, Nicolas Sarkozy — en tant que candidat à la présidentielle — déclara à la télévision nationale qu’il allait nettoyer au Kärcher les banlieues de ce qu’il appelait « la racaille », l’équivalent français du terme américain « niggers ». En réitérant l’insulte, il réussit à influencer positivement sa campagne électorale.
En réaction à la ségrégation raciale, des émeutes éclatèrent dans les ghettos des USA. En France, ce fut la ségrégation sociale qui poussa les jeunes des banlieues à soulever des émeutes.
Quand les banlieues parisiennes étaient en train de brûler, les représentants du CFCM firent tout pour éteindre le brasier alors que les jeunes révoltés priaient pour qu’un vent fort arrive. Les émeutes ont poussé le Ministère de l’Intérieur à convoquer ses représentants musulmans, essayant à tout prix de stopper les émeutiers. Sarkozy convoqua Boubakeur et lui demanda de faire quelque chose pour faire cesser la révolte citadine, mais l’Oncle Dalil n’avait jamais vécu dans les banlieues, il les avait à peine visitées. De plus, les musulmans ne l’ont jamais considéré être un des leurs. Ce fut précisément comme le dit le dirigeant d’une association musulmane en France : « Il parle le français des élites françaises [8], pas celui des musulmans ordinaires. Les jeunes des quartiers ne le comprennent pas et lui, il ne comprend pas les jeunes. » Boubakeur ne pouvait rien faire pour arrêter ce mouvement populaire, car ce n’est pas lui qui l’avait commencé. Pour une fois, il n’a pas été capable de servir son maitre.
La révolte noire aux USA ainsi que les émeutes des banlieues françaises ont choqué le monde. Des grandes puissances mondiales avec une politique étrangère très agressive étaient incapables de résoudre les problèmes dans leurs propres ghettos. Sarkozy a dû faire appel à l’armée comme le fit JFK en 1963 :
« Et les Nègres étaient là-bas dans les rues. Ils étaient là-bas à discuter de qui allait se rendre à la Marche sur Washington [9]. Au fait, ce fut au même moment que les Noirs de Birmingham ont fait exploser la ville. Ils ont commencé à poignarder les petits blancs dans le dos et à leur frapper sur la tête, oui, ils l'ont fait. C'est alors que Kennedy a envoyé des troupes de l’armée au cœur de Birmingham. Après ça, Kennedy est passé à la télé et a dit : ‘C’est un problème moral’ » [10]
L’Ordre National du Mérite récompense les « blédards de maison » qui trahissent leur communauté en laïcisant l’Islam. Ici, Malek Chebel est décoré de la légion d’honneur par Nicolas Sarkozy le 12 juin 2008.
John F. Kennedy avait décrit la révolte comme un problème moral sachant bien que ce n’était pas le cas. Quant aux émeutes en France, Sarkozy en a fait un problème religieux sachant pertinemment qu’elles n’avaient rien à voir avec l’Islam [11]. Des médias malintentionnés se mirent à répéter Sarkozy. Ils se concentrèrent sur « le caractère islamiste » des violences et déclenchèrent ainsi une nouvelle vague de sentiments islamophobes à travers l’hexagone. Bien que les musulmans pratiquants ne participèrent nullement aux violences urbaines, Sarkozy islamisa les émeutes afin de les exploiter au mieux dans sa campagne. Il parvint à convaincre ses représentants musulmans de – presque – s’excuser pour un crime pour lequel ni eux ni l’Islam ne furent coupables. Une tromperie de maître que l’Oncle Tom, de par sa naïveté déconcertante, fut incapable de déceler.
Extrait de “Malcolm X, Discours aux Cités de la République”, à télécharger ici
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[1] Roy Wilkins était le secrétaire de direction du NAACP (l’Association nationale pour l'avancement des gens de couleur)
[2] Philip Randolph était le fondateur du « Brotherhood of Sleeping Car Porters »
[3] James Farmer cofonda le Congrès de l’Égalité Raciale en 1942.
[4] Congrès de l'égalité raciale.
[5] Les émeutes de Birmingham (en Alabama) visaient à mettre fin à la politique ségrégationniste de la ville.
[6] Malcolm X, « Message to the Grassroots »
[7] Ibid
[8] Une des caractéristiques du « Nègre de maison » décrit par Malcolm X était que celui-ci « pouvait parler comme son maître, d’une diction parfaite. »
[9] En été 1963, King mena la Marche de Washington où il prononça son célèbre discours « I have a Dream ».
[10] Malcolm X, « Message to the Grassroots ».
[11] Il est important de souligner que l’Islam interdit les émeutes violentes, le vandalisme, le fait de casser ou brûler des voitures, etc. Par contre, ce qui est légiféré, et bien plus efficace, est de mener un « Jihad de la Plume ».