10. La Foi Musulmane, une Nationalité Mondiale
 

En Occident, une nouvelle génération est née qui n’accepte plus la façon monotone de penser la culture. Ses membres sont conscients du prix à payer pour leur indépendance religieuse. En subissant patiemment l’islamophobie d’État, ils rencontrent de nombreux obstacles qui leur compliquent quotidiennement la vie. Ils ont fait le choix d’avancer la tête haute plutôt que de vivre à genoux, assumant pleinement de mener un mode de vie par lequel ils ne seront jamais acceptés dans la société française. Ils éprouvent sans doute les mêmes sentiments de peine et de douleur que les membres de la communauté afro-américaine qui, après tous ces siècles, sont toujours confrontés à un racisme largement répandu. Malcolm X fut conscient du fait que les noirs au XXe siècle ne furent toujours pas reconnus par la société américaine :


« Ne soyez pas choqués quand je dis que j'étais en prison. Vous l’êtes toujours vous-mêmes. C'est ce que l'Amérique veut dire : la prison… Vivre ici en Amérique ne fait pas de toi un Américain. Être né ici en Amérique ne fait pas de toi un Américain… Nous ne voyons pas de rêve américain. Au contraire, nous avons vécu le cauchemar américain. Nous n’avons nullement bénéficié de la démocratie américaine, nous avons seulement souffert de son hypocrisie. Et la génération qui surgit aujourd’hui le constate et n’a pas peur de le dire. » [1]


Un reproche récurrent des chercheurs islamologues est que les musulmans traditionalistes ne se considèrent pas comme citoyens, estimant que leur lien avec l’État n’est pas basé sur l’allégeance, mais sur l’utilité. Cette vision fait alors contraste avec les musulmans occidentalisés qui se voient vivre dans une société philanthropique à laquelle ils se doivent d’être reconnaissants et loyaux. Toutefois, ces derniers ne réalisent pas que la relation entretenue par la France envers ses citoyens musulmans, depuis la première arrivée d’immigrés arabes, n’a jamais été fondée sur l’allégeance, mais sur une utilité pratique et une exploitation très rentable. Ils vinrent reconstruire l’Europe durant la période d’après-guerre et furent souvent placés en lignes de front des armées belges et françaises pour combattre un ennemi étranger avec lequel ils n’avaient aucun lien. Un peu comme les noirs américains qui combattirent sur les lignes de feu au Vietnam contre un peuple asiatique avec lequel ils n’avaient aucune relation.


Les douloureux sacrifices des musulmans durant les guerres européennes semblent maintenant avoir été oubliés. Avant, ils devaient se battre contre l’occupant nazi alors qu’aujourd’hui ils ne peuvent se montrer solidaires avec leurs frères sous occupation sioniste sans être reprochés d’importer le conflit ‘israélo’-palestinien. Et lorsqu’ils désirent défendre leurs droits élémentaires bafoués par le système, ils sont stigmatisés ou réprimandés. L’engagement militant et militaire du musulman ne semble être réellement apprécié que lorsque celui-ci vise les ennemis de l’Occident.


 
 

De nombreux soldats noirs américains et maghrébins (goumiers) combattirent pour l’homme blanc contre un ennemi avec lequel ils n’avaient aucun lien. Pourtant, ceci n’a jamais fait d’eux des citoyens à part entière.



À son époque, Malcom X dénonçait le fait que les noirs furent envoyés en guerre à l’autre bout du monde pour la cause des blancs alors que chez eux, ils étaient interdits de lutter pour défendre leurs propres droits :


« Comment pouvez-vous vous montrer violents envers Hitler et Tojo, ou quelqu'un d'autre que vous ne connaissez même pas tout en prônant le pacifisme dans le Mississippi et l'Alabama où vos églises sont bombardées, et où vos petites filles sont assassinées ? Lorsque l'homme blanc vous a envoyé en Corée, vous avez saigné. Quand il vous a envoyé en Allemagne, vous avez saigné. Quand il vous a envoyé au Pacifique Sud pour combattre les Japonais, vous avez saigné. Vous avez saigné pour les Blancs. Mais lorsque vient le moment de protéger vos propres églises bombardées et les petites filles noires assassinées, vous n'avez pas de sang. Vous saignez quand l'homme blanc dit saigne, vous mordez quand l'homme blanc dit mord, et vous aboyez quand l'homme blanc dit aboie. » [2]


À l’instar des Noirs américains, les Maghrébins ont aidé l’homme blanc à mener ses guerres et à reconstruire son pays. Cependant, cela n’a jamais fait d’eux, ni de leurs enfants, des citoyens à part entière. Chose qui devrait surprendre si l’on sait que la France ne peut survivre sans sa population musulmane. En effet, si demain les musulmans se mettent tous à quitter la France, son économie s’effondrerait probablement en moins d’un mois. Et il est peu probable qu’un « Monsieur Lacroix » acceptera de nettoyer les vitres de la Tour Montparnasse, n’est-ce pas ?


Malgré ce besoin vital de main-d’œuvre arabe, la France n’a jamais eu de scrupule à traiter les musulmans comme des citoyens de seconde zone. Voilà pourquoi de nombreux musulmans ne se préoccupent pas de porter de l’estime à ce qu’ils considèrent être un État opportuniste fondé sur l’exploitation de peuples opprimés qu’il méprise à cause de leur religion.


 

Pour combattre l’Islam traditionaliste, la France construit des Arabes de service qu’elle infiltre dans la politique, les médias, le culte musulman, l’islamologie et même le hip hop.



L’Islam orthodoxe s’est aujourd’hui implanté sur le continent européen pour y rester. Il est fort, noble et haï par la classe politique française qui voit dans toute manifestation de l’Islam une atteinte à la laïcité et au pluralisme démocratique. Pour le combattre, la République construit des Oncles Tom et des Arabes de service et en fait des personnalités importantes, des célébrités et des porte-paroles pour — ou plutôt contre — les musulmans de France [3].


Le discours que Malcolm X prononça en 1963 à Detroit semble aujourd’hui être devenu un discours qui s’adresse aux musulmans des banlieues européennes qui assistent à un réveil culturel et religieux. De plus en plus de jeunes musulmans abandonnent les idéologies séculaires et sectaires pour pratiquer l’Islam traditionnel comme il fut enseigné par le Messager (sallallahu a'leyhi wa sallam). C’est cet Islam que Malcolm X embrassa à son retour du Hajj, se libérant ainsi du Nationalisme Noir et de la secte criminelle et raciste « Nation of Islam » [4].


Tout comme Martin Luther King, Malcolm X lui aussi partageait un grand rêve. Une semaine avant son assassinat, il exprima l’espoir de voir la communauté afro-musulmane en Amérique se joindre un jour aux musulmans dans le reste du monde pour ainsi former une grande alliance basée sur l’entraide et la piété: « Vous savez que nous devons nous unir avec le reste des musulmans au monde, car ils sont 700 000 000. Il est temps que nous cessions d’être une minorité et que nous devenions partie de la majorité. » [5]


 

Lorsque le maître d’esclaves de la plantation décéda, il fut succédé par un nouveau maître. Or, la fonction d’Oncle Tom ne changea point; il continua à servir son nouveau maître comme il servait l’ancien.



Le 21 février 1965, al-Hâjj Malik al-Shabâz fut lâchement assassiné à l’âge de 39 ans. Or, son message continue de vivre et son parcours exemplaire inspire toujours les peuples maltraités et opprimés dans les quatre coins du monde.


Quant aux islamologues, il leur faut comprendre qu’ils ne peuvent étudier les musulmans pratiquants sans analyser les textes islamiques. Le retour à l’Islam traditionnel n’est pas une manifestation d’un « postislamisme » [6], mais une quête d’indépendance religieuse. En se basant sur le Coran et la tradition prophétique selon la compréhension des « Salaf al-Sâleh » [7], ils refusent de suivre aveuglément les interprétations religieuses, souvent coloniales, de leurs aïeux ou celles des Oncles Tom de l’État. Ayant renoncé à la mentalité de la classe ouvrière, ils n’appartiennent plus à une génération perdue. Ils se sont libérés des carcans idéologiques et culturels avec lesquels la France les a éduqués. Ils voient l’Islam comme étant un, indivisible, authentique et comme quelque chose qui ne pourra jamais être « français ». Ils ont franchi les confins reculés des normes dominantes et étroites de l’Occident, obtenant ainsi la nationalité mondiale de la foi islamique. Partout dans le monde, ils ont des frères et sœurs qu’ils considèrent comme leurs vrais compatriotes. En retournant aux sources de l’Islam, ils ont retrouvé un honneur et une dignité religieuse jusqu’alors disparus…


Kareem El Hidjaazi (le 21 juillet 2008)


Traduction de l’anglais au français : Oum Abdilleh



Remarque : Pour soutenir le projet de l'Observatoire des Islamologues de France et faciliter de futures publications, il est désormais possible de faire un don sur http://islamologues-de-france.com/ ou directement ici:






Extrait de “Malcolm X, Discours aux Cités de la République”, à télécharger ici



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[1] Malcolm X, « The Bullet or The Ballot »; Cleveland (Ohio) le 3 avril 1964.

[2] Malcolm X, « Message to the Grassroots ».

[3] Aujourd’hui, en 2016, les « collabeurs » ont été infiltrés dans différents domaines: la politique (Najat Belkacem, Malek Boutih), les médias (Ali Baddou, Momo Sifaoui), le culte musulman (Boubakeur, Oubrou), l’« imamat » (Chalghoumi, Birbach), l’islamologie (Malek Chebel, Rachid Benzine), l’anthropologie (Dounia Bouzar) et même le hip hop (Abd Al Malik)

[4] Une secte qui, à part son nom, n’a strictement rien à voir avec l’Islam.

[5] Malcolm X, « Speech delivered one week prior to his assassination. »

[6] L’Islamisme est un terme que les musulmans rejettent. Voir « Le Crime Islamologiste »

[7] Les trois premières générations furent les plus proches de l’ère de la révélation et possédaient la compréhension la plus correcte et authentique de l’Islam.

 
 
 

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